Les retours : accompagner
le travail
Comment accompagner un travail artistique existant pour l’emmener vers autre chose ou pour consolider, interroger, façonner ce qui existe déjà ? Les feedbacks ou retours sur les spectacles, les pratiques, jouent un rôle crucial dans le développement artistique et professionnel des artistes ou des apprenant·es. Ces feedbacks ne sont pas neutres et sont souvent imbriqués dans des rapports de pouvoir complexes. Envisager la question des retours articulée à celle du travail artistique permet de penser les contextes dans lesquels des paroles sont émises et transmises. Une position hiérarchique ou perçue comme telle (directeur·ices de lieux et compagnies artistiques, pédagogues et apprenant·es, directeur·ices d’école et pédagogue) peut influer sur ce qui est dit et sur la manière dont le discours est reçu. Prendre conscience d’une parole située, mobiliser des outils précis et donner les règles du jeu en amont peut favoriser des échanges plus sereins et fluides, en conscience des rapports de pouvoir à l’œuvre entre les personnes d’un groupe. La nature hiérarchique de certains feedbacks peut générer un stress pour les personnes qui les reçoivent et ainsi les mettre en danger sur les plans physique et/ou psychologique. Les feedbacks peuvent également révéler ou exacerber des inégalités préexistantes, par exemple, pour les artistes issu·es de groupes marginalisés. La conscientisation de ces enjeux et le développement de pratiques plus inclusives, formalisées, respectueuses et encourageantes, participent de la construction d’un milieu artistique où chaque voix a la possibilité de s’exprimer pleinement.
Situations et temporalité
Trouver le juste moment et le bon espace pour faire des retours n’est pas toujours facile mais permet de mieux appréhender l’exercice. Selon les étapes d’un processus de création (genèse d’un projet, travail à la table, présentation d’un work in progress) ou d’un apprentissage, les modalités de retour seront différentes. Si le retour est pensé comme un accompagnement, sa formulation simple peut être insuffisante et doit s'accompagner d’outils à mettre en place, parfois sur le moyen ou le long terme dans une temporalité qui varie selon les destinataires, le projet et les enjeux associés. Il s'agit donc de prendre en compte des questions d’espace (Où se donne un retour ? Dans quelles postures sont les participant·es dans l’espace ?), de temps (À quel moment a lieu le retour ? Est-il pertinent de le formuler juste après une présentation ?), et de relations (Qui sont les personnes qui donnent un retour, ? Connaissent-elles le travail ? Ont-elles une relation passée, présente ou future avec les destinataires ?) et de méthodes (protocoles existants ou à inventer, temps formels et temps informels).
Feedbacks et rapports de pouvoir
Les retours sont un endroit de pouvoir et de possibles violences dont il est nécessaire de prendre soin. Remettre son travail à l’autre crée une situation de grande vulnérabilité. Il est possible et nécessaire de prendre conscience de toutes les postures par lesquelles des retours sont formulés : spectateur·rice, regard extérieur, décisionnaire, financeur·euse pédagogue, co-créateur·rice, etc. Lorsque la relation de pouvoir est réelle et le cadre des relations asymétriques, des formes de violence peuvent s’exercer à travers la prise de parole (dépendance économique d’un·e artiste face à un·e décisionnaire, dépendance d’un·e apprenant·e face à un·e pédagogue référent·e considéré·e comme central·e dans la validation d’un apprentissage). Reconnaître ces asymétries et penser des relations davantage horizontales permet en partie de prévenir ces violences. De même, la manière de formuler les retours (questions ouvertes, place donnée à la parole de la personne qui reçoit les retours) ou la valorisation des retours entre pair·es (y compris entre apprenant·es) y contribue aussi.
Interroger son regard de spectateur·rice
Les mécanismes d’oppression et de discrimination systémiques observées socialement sont aussi opérants dans le secteur artistique et affectent nos manières de regarder les œuvres. Bien que le secteur du travail artistique puisse être perçu comme un espace d’émancipation, les discriminations de genre, de race et de classe sont présentes et agissantes. De la légitimité à se sentir spectateur·ice à l'affirmation d’un pouvoir à travers ce regard, les postures sont nombreuses et déterminées par des enjeux politiques, sociaux et économiques (accessibilité des lieux culturels, légitimation par le parcours, etc.) De la même façon, la question “d’où je parle” doit constamment se reposer pour mieux déchiffrer ce que véhiculent nos regards. Des notions telles que le female gaze, le male gaze, le queer gaze et la culture du viol pour analyser les représentations au sein des œuvres aident à comprendre les enjeux de la pluralisation des représentations et des récits, et à mettre en lumière les dynamiques de pouvoir qui sous-tendent les œuvres artistiques.
Ressources
- BOITTE, P. (2024), Chercher avec l’aventure de L’L depuis les arts vivants. Fascicule 2. Expérimenter à partir des modalités de L’L, L’L Éditions
- BORGHI, Rachele (2024), “La parole ne se prend pas, elle s’arrache » dans Pour des écoles d’art féministes ! , Les presse du réel
- BOULBA, P.L. (2023), CritiQueer la danse. Réceptions performées et critiques affectées, Presses universitaires de Vincennes
- GINOT, I. et GUISGAND P. (2021), Analyser les œuvres en danse. Partitions pour le regard, Centre national de la danse
- LERMAN, L.(2003), Critical Response process : a method for getting useful feedback on anything you make, from dance to dessert. Dance Exchange
- MARTZ-KUHN, E. et MILL, J. (2024) Curieux manuel de dramaturgie pour le théâtre, la danse et autres matières à changement, Du passage
- Wages for Wages Against, Tout ce qu’on sait. We know what remains unsaid, L’Amazone et Privilege, 2023
- Wages for Wages Against, How artists are chosen. Exclusivité, travail précaire et asymétries dans les compétitions artistiques, L’Amazone et Privilege, 2024
- Wages for wages against
- Outils de feedbacks