Faire collectif
Le besoin de changement de modèles se fait sentir, tant au niveau de la formation, de la création que de la production artistique. Il est impératif de repenser les différentes structures existantes pour qu’elles soient plus inclusives et adaptées aux réalités diversifiées des individus, tout en mettant l’accent sur le collectif, de nouvelles gouvernances et de nouveaux modes d’action. Le travail en collectif encourage un alignement sur des valeurs communes, qui doivent être choisies ensemble et clairement identifiées afin de garantir le succès et la cohésion d’un projet, qu’il soit pédagogique ou artistique. Il s’agit par exemple de créer un environnement sain et bienveillant facilitant l’apprentissage des apprenant·es, et qui soit aussi un espace où les pédagogues se sentent moins seul.es et obtiennent une meilleure reconnaissance de leurs pair·es et de la direction de l’établissement. Par la mise en place de collectifs bienveillants, accueillants et choisis, les artistes, pédagogues, apprenant·es peuvent évoluer et travailler dans des cadres dont iels sont partie prenante et s’y sentent légitimes.
Faire corps
Penser sa place dans un collectif ou une équipe invite à ancrer des pratiques dans la durée et dans une formation ou un projet qui est perçue comme un ensemble, et non comme une succession de pratiques individuelles et éventuellement contradictoires, tout en assumant les différences de méthodes et de rapports au corps entre les disciplines. Il s'agit de réussir à s'extraire de l'imaginaire d'un projet porté par une entité, qui ne s'appuie en fait sur aucune discussion collective, voire qui n'existe pas, et se rassembler pour en créer un, qui soit concret et porté par l'ensemble des membres du collectif. Les rencontres et ateliers rendent notamment visible l'importance d’avoir des dynamiques communes qui viennent irriguer les pratiques de tous·tes les pédagogues afin de garantir un climat de travail positif et cohérent sur le plan pédagogique. Se constituer en équipe pédagogique nécessite alors de trouver des valeurs communes, par exemple en co-écrivant une charte ou un règlement, ainsi qu'un partage des pratiques de chacun·e.
Travailler ensemble, autrement
Le secteur artistique et culturel est marqué par la diversité des conditions de travail, des conditions d'emploi, et des conditions d’accès au marché du travail. De ce fait, les travailleur·euses d’art vont revendiquer des statuts, des rôles et porter des luttes différentes à leurs endroits. Comment, dès lors, faire collectif, travailler plus horizontalement et trouver les outils pour le faire ? Nommer sa place et son statut au sein d’un groupe ou d’une institution, rendre lisibles et visibles les enjeux de rémunération, de gratification, d’évaluation, d’évolutions professionnelles et pouvoir les discuter, valoriser les connaissances individuelles et les compétences collectives, les savoirs formalisés et les savoirs empiriques, identifier les charges (physiques, mentales, émotionnelles) pour repenser collectivement leur répartition.
Que cela soit au sein d’une compagnie artistique, d’une institution culturelle, d’une association ou d’une école, des législations et textes réglementaires protègent et encadrent le travail. S’y référer, en débattre, inventer ses manières de travailler ensemble dans le cadre législatif (produire une charte par exemple, imaginer des outils de communication) permet de clarifier les relations de pouvoir et de nommer le travail pour éviter l’invisibilisation de certaines tâches, fréquente dans le secteur : charge de préparation des pédagogues, charge mentale du suivi d’un·e apprenant·e en difficulté, nécessité de répondre à des appels à projets, charges administratives, gestion des ressources humaines, temps de transport… Enfin, penser le travail collectivement, éprouver des modes de gouvernance, c’est aussi s’interroger sur les mythologies de “métiers”, la nécessité du travail, le plaisir à travailler, et les modèles politiques dans lesquels il peut s'inscrire (rémunération versus travail gratuit, notions de carrière, surproduction, valeur du travail sur un marché, etc.). Travailler ensemble, c’est aussi penser les endroits des luttes collectives (association, syndicats, collectifs militants), pour s’organiser, participer à et fédérer.
Célébrer les luttes
Trouver des zones de plaisir et de sécurité est essentiel pour le bien-être et l’épanouissement des membres des collectifs. Les ateliers qui mêlent formel et informel sont d’une importance capitale. Ils permettent des discussions nécessaires à tous·tes les participant·es, favorisant la création de liens, le partage de ressources et de vécus. Ces moments sont précieux pour renforcer la cohésion et la solidarité au sein des collectifs. Mais en plus, la création de rituels de célébration ramène au premier plan la place de la joie et du plaisir dans les contextes de création, de travail, de transmission, d'enseignement. Les institutions manquent souvent de reconnaissance envers les sujets jugés “intimes” tels que la maternité, la transition de genre, et le sentiment d’exclusion vécu par les corps queer et racisés. Le collectif, notamment en non-mixité choisie, rend possible le partage de ressources et créer un espace dans lequel il est possible de s’interroger sur la manière dont nous nous percevons et nous présentons aux autres. Assumer son identité, trouver et prouver sa légitimité, et mettre en place des stratégies de visibilité sont des étapes indispensables pour une reconnaissance pleine et entière de soi et de son travail. Les collectifs offrent des espaces pour se ressourcer, se sentir en sécurité et se réjouir ensemble.
Gestion de conflits
Historiquement, les mouvements féministes ont cherché à s’organiser de manière plus horizontale et démocratique pour limiter les dynamiques de pouvoir au sein de leurs associations. Depuis les années 1970, plusieurs formes d’organisation novatrices et d’outils ont émergé, tels que la cogestion, la gestion participative, les outils de communication non-violente ou encore les espaces non-mixtes. Ces modèles visent à rompre avec les hiérarchies institutionnalisées et à contrer les structures patriarcales traditionnelles notamment en matière de justice face au risque de reproduction de systèmes oppressifs. Face à des situations de violences (de genre, de race, de classe), il n’existe jamais une seule réponse. Au sein de collectifs militants, la gestion de conflit est largement discutée et les actions empruntent souvent à différents courants, méthodes d’intervention qui ont en commun d’être sous-tendus par des principes selon lesquels les groupes ne sont jamais stables et que le conflit va forcément arriver. Gérer les conflits en ce sens, c’est aussi considérer qu’il peut produire de la richesse, du changement : s’en saisir et voir ce qui naît du conflit.
Pour autant, l’ensemble des pratiques et actions de groupes militants ne sont pas immédiatement transposables à tous les espaces professionnels. En effet, lorsque des relations de travail verticales sont en jeu (positions hiérarchiques), il est souvent plus complexe de penser les conflits en autogestion et dans une forme d’horizontalité. Des collectifs sont spécialisés pour proposer des outils qui s'adaptent à différents contextes. D’un autre côté, dans le cadre professionnel, il existe des procédures qui visent à protéger les travailleur·euses qui sont nécessaires dans des contextes d’abus de pouvoir. La réponse à un conflit au sein d’un groupe, d’un espace de travail, d’un collectif est donc toujours complexe. Dans le domaine des arts vivants et des arts visuels, s’interroger sur la gestion de conflits, inventer les espaces possibles pour répondre aux violences, mobiliser des récits, penser le collectif a infusé de nombreuses démarches artistiques qui encadrent, déplacent ces enjeux en interrogeant leur possible représentation.
Partager des savoir-faire
Faire collectif, c'est permettre la mise en commun de ressources et outils, la création de réseaux (de soutien, de diffusion, d'échange) et le partage de pratiques, entre pair·es mais aussi entre pédagogues et apprenant·es. Le collectif, au sens le plus large, invite à prendre conscience et à accepter que chacun·e possède des savoir-faire et que les positions de pédagogues et apprenant·es peuvent être mouvantes et s'inverser. Par là, il s'agit également de penser l'enseignement de manière plus horizontale, de pair·e à pair·e, et non dans une verticalité sachant·e - non-sachant·e. L’importance du collectif et du choix de ses membres (non-mixité choisies entre femmes et/ou personnes queer) constituent non seulement une stratégie de visibilité, mais également un moyen de ne pas porter des projets seul·e, offrant ainsi un espace de sécurité tant sur le plan artistique que personnel.
Ressources
- HARNEY, S. et MOTEN, F. (2022), Les sous-communs. Planification fugitive et étude noire, Les presses du réel
- KUNST, B. (2015) Artist at work. Proximity of art and Capitalism, Zero Books
- PROVANSAL, M. (2022) Artistes mais femmes. Une enquête sociologique dans l’art contemporain, ENS Éditions
- SCHULMAN, S (2021), Le conflit n’est pas une agression, traduction française de Julie Bortin Zortea et Joséphine Gross, éditions B42.
- STARHAWK (2021), Comment s’organiser? Manuel pour l’action collective, Cambourakis
- ZORTEA, J.B. et DRUL, L. (2022) Aujourd’hui, on dit travailleur·euses de l’art, 369 éditions
- Collectif Fracas
- Continuité revenus
- Wages for wages against