Prendre soin

Prendre soin de soi, des autres, du collectif.  Être à l’écoute, identifier nos limites et développer collectivement des pratiques de veille depuis sa place de pédagogue pour et avec les apprenant·es. Partager l’énergie, se rendre disponible, s’engager, s’appuyer sur. La préservation de la santé physique, mentale et sociale est un enjeu fort dans les pratiques de transmission. Prendre soin, c’est tout d’abord créer des espaces pour que cela existe, laisser cohabiter le temps du corps, le temps de la création, les temps de la pédagogie, les temps quotidiens et ne pas les opposer. C’est aussi permettre aux subjectivités de chacun·e de s’exprimer, verbaliser ce qui a parfois été rendu invisible par des années de pratiques, de constructions, de normes incorporées et l’injonction de la performance. Au sein d’un groupe, d’une compagnie, d’une école, la responsabilité du « prendre soin » requiert un juste partage et une juste répartition des charges.

Journal de bord - Rencontre internationale de Jeunes artistes du Cirque de Belgique, Liban, Italie, Espagne et Suisse - Signature de la charte écrite ensemble les semaines précédentes, qui pose un cadre commun pour vivre au mieux cette semaine en collectif
Journal de bord - Visites de deux lieux qui accueillent et offrent un cadre privilégié aux enfants pour la pratique du cirque // Interventions de Jules Farce du collectif Fracas sur les méthodes de Justice restauratives

Les éléments contextuels (conditions de travail, accessibilité, rythmes, enjeux sociaux, politiques) vont définir des rapports au soin, des pratiques dont la pleine conscience permet souvent de travailler avec attention dans un juste partage et une juste répartition des charges (physiques, mentales, émotionnelles). Prendre soin, c’est parfois remettre en question des habitudes, trouver d’autres chemins et emprunter des méthodes, des approches venues d’autre champs artistiques ou non. Il convient de ne pas négliger les facteurs environnementaux et sociaux (discriminations, marginalisation) qui influent sur la manière de l’inclure dans une pratique, professionnelle ou non. Il s’agit d’engager le corps, mais aussi les perceptions, une conscience à 360 degrés qui s’ancre dans le mouvement, mais aussi dans les imaginaires.

Rendre visible les risques et les fragilités

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L’engagement du corps au quotidien dans une pratique de haute intensité place les pédagogues comme les apprenant·es dans des situations de risque ou de fragilité. Visibiliser les questionnements autour de la santé physique, mentale et sociale au sein d’un groupe les rend réels et sensibles. Verbaliser, mettre des mots sur des situations (fatigue, surentraînement, motivation, disponibilité) donner de l’espace pour permettre de partager des sensations par des exercices réguliers de “body scan”, des cercles de parole et par la transmission d’informations (blessures physiques, mentales, sociales), donne l’opportunité d’être écouté·e. Les injonctions à cacher la douleur, le mal-être ou l’inconfort, la peur de parler de ses conditions de travail, de paraître “faible”, l’adaptation constante à des contextes qui mettent en danger, le sentiment de solitude ou la crainte de déstabiliser un groupe, une relation pédagogique ou un projet entraîne des omissions ou dissimulations conscientes ou inconscientes. Rendre visible, c’est la possibilité d’y porter collectivement attention.

Responsabilités et vigilances

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Prendre soin requiert d’engager sa responsabilité et, depuis la place du·de la pédagogue, faire la part des choses n’est pas toujours évident. Le rôle du·de la pédagogue n’est en aucun cas de poser un diagnostic sur un problème qu’il soit physique ou psychique mais iel doit néanmoins se doter d’outils de vigilance pour repérer et orienter. Cela permet d'identifier les limites pour soi et offre la possibilité à chacun·e de poser les siennes et de les exprimer, à un moment donné, dans un contexte précis. Mettre en place un environnement de travail sécurisant, donner des objectifs raisonnables, analyser le contexte pour un retour technique à un·e apprenant·e (fatigue, temps de la journée, conditions, enjeux, disponibilité physique et psychique), identifier, mesurer et discuter ensemble de la prise de risque, protéger sont autant de responsabilités que peut prendre le·la pédagogue. La responsabilité et la vigilance peuvent être partagées : entre pédagogues, entre pédagogues et apprenant·es, entre apprenant·es, en développant la confiance et en incluant des pratiques permettant une conscience aiguë (pratiques somatiques et attentionnelles).

Se préparer, agir, récupérer

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Penser l’entraînement comme un laboratoire d'expérimentations, de possibles, d’empouvoirement. Penser l'entraînement comme un espace dramaturgique et physique pour faire attention à, faire face, lutter contre, se préparer, se rendre disponible à, se protéger de… Prendre soin pour déplacer certaines normes qui contraignent les corps (corps performant, assignation de genre, standards physiques en fonctions des pratiques ou des disciplines, habitudes induites) et empêchent un apprentissage serein et fertile. Développer des pratiques de prévention et de récupération parfois alternatives ou inhabituelles rend possible l’échappée de ces contraintes pour engager un travail au quotidien adapté à chaque contexte de pratique, aux besoins, aux désirs, aux nécessités, aux urgences. L'entraînement, qu’il soit pour récupérer, agir ou pour se préparer peut être un endroit de plaisir, de joie, de jeu, d’engagement. Il peut être performatif, intense comme doux, logique comme absurde, et emprunter différents chemins (actions, travail à partir des sensations, à partir d’images, de musiques…) avec ou sans le corps (se promener, aller voir une exposition), pour les apprenant·es comme pour les pédagogues ou même les spectateur·ices.

Ressources

Journal de bord - Interventions de Marie-Andrée Robitaille sur son travail artistique et de mémoire, la philosophie du mouvement et le Hopepunk ; et de Sophie Orlando – sur son travail en tant que professeure et l'importance de la pédagogie/analyse critique des œuvres
  • CHARMATZ, B. (2009), Je suis une école, Les Prairies ordinaires
  • CRICKLAY, C. et TUFFNELL, M. (1999), Body, Space, Image. Notes toward Improvisation and Performance, Dance Books Ltd
  • FORTIN, S. (2008) Danse et santé. Du corps intime au corps social, Presses de l’Université du Québec
  • LEGENDRE, F. (2016) « Devenir artiste de cirque : l’apprentissage du risque » dans La Prouesse et le risque, La Découverte
  • GROSSTEPHAN, V. (2018) « Former à la prise de risque dans les écoles de cirque : une étude exploratoire » dans Carrefours de l’éducation, Armand Colin
  • Radicalizing Care. Feminist and Queer activism in Curating, ouvrage collectif (2022), MIT Press
  • Site web « Écouter le travail »
  • Formation premiers secours CH et FR
  • Formation premiers secours en santé mentale CH et FR
  • Individus en mouvements